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A l'ombre de moi-même
13 mars 2019

Mon Himalaya.

Ou "de l'ombre à la lumière".

Le thème des impromptus est prolongé sur "Plaisirs minuscules". Certes, j'aurais encore mille choses à dire sur le sujet, mais là j'ai une autre envie... une hors thème probablement, sauf pour moi.



La dernière fois, je partageais avec vous cette balade, source d'un sourire de victoire. Aujourd'hui, j'aimerais vous dire pourquoi, et pour cela, il faut commencer par un aperçu de souvenir moins plaisant.

~


C'était il y a un peu plus de dix ans maintenant. Dans ce monde à l'envers, j'étais au point "culminant" de ma chute.

J'avais encaissé pas mal de petites épreuves de la vie, mais j'avais fini en ruines, de ces ruines que personne ne visite jamais car elles menacent de s'écrouler à tout instant. Je me traînais ma seule "amie" de toujours : la dépression, ce mal si sournois que presque personne, à moins de ne l'avoir expérimentée, ne peut comprendre ou même se figurer vraiment.
Du coup, que ce soit parce qu'ils nient la légitimité de votre mal-être ou parce qu'ils veulent "vous faire réagir", les gens, même (surtout?) les proches sont souvent d'une violence inouïe avec les personnes dépressives. L'univers n'est donc que douleur : désespoir, honte, culpabilité, solitude subie, etc.

La petite fille solitaire et silencieuse s'était cristallisée en tristesse et mélancolie. L'ado apeurée et soumise s'était figée en frustration et honte. La jeune adulte portait l'une et l'autre comme elle le pouvait, rongée par la culpabilité, la peur, et bien d'autres choses qui n'avaient pas encore de nom.
Pour d'innombrables raisons, j'avais fui la demeure parentale, dans un inexplicable sursaut d'instinct de survie. Je suis partie, loin - aussi loin que je le pouvais, au motif d'une reprise d'étude, dans une branche presque inconnue, dans une ville totalement inconnue, pleines d'individus inconnus, avec au ventre une peur inconnue.

A l'époque, j'allais si mal que tout ce qui peut vous sembler "banal" et "normal", était pour moi un horrible défi. Jusqu'à pouvoir sortir de chez moi.

A chaque fois que je savais que j'allais devoir sortir, je sentais la terreur monter en moi et me nouer les entrailles à en avoir mal. Dès que je me trouvais devant la porte, ma gorge se nouait douloureusement, mon coeur s'emballait, me mettant à bout de souffle. La porte à peine franchie, je tremblais, j'avais envie de pleurer, de faire marche arrière. Mon être me suppliait de me laisser enfermée ici, pour toujours.
Certains jours, quand je n'avais pas d'obligation morale, je renonçais, débordante de honte, mais aussi de soulagement. Le reste du temps, prenant mon "courage" à quatre pattes, j'avançais.

Je marchais par saccade, recroquevillée sur moi-même, la tête rentrée entre les épaules. Le moindre élément non planifié sur ma route, et je n'arrivais plus à marcher droit, les larmes perlaient à mes yeux, je n'arrivais plus à respirer, mon corps se tendait comme prêt à fuir, et mon esprit plongeait dans la panique qui faisait naître en moi la même supplique chaque fois : "Pitié, que personne ne me voit, que personne ne me parle. Qu'on me laisse tranquille, qu'on m'oublie, je n'existe pas. Je veux mourir."
À chaque pas, cette partie de moi me suppliait de bien vouloir mettre fin à tout ça..

Alors, sans savoir pourquoi, je me suis obligée à combattre, à ma façon.
Il n'y avait qu'un kilomètre et demi entre mon appartement et mon école, alors matin, midi, après-midi et soir, je me suis forcée à faire la route à pieds. Quoi qu'il me faille faire, démarches administratives, petites courses, aller à la laverie, etc. : je le faisais à pieds également, et j'accumulais les kilomètres.
Je sais, cela n'a l'air de rien, et pourtant. Vous n'avez pas idée...

Ma seule arme, c'était mon opiniâtreté en alliée insoupçonnée qui me faisait marcher, encore et encore.
Par moment, je me disais que j'essayais désespérément de ressentir quelque chose, n'importe quoi pourvu que ce ne soit ni la peur, ni la douleur, mais je ne ressentais rien d'autre, au mieux j'oubliais, trop concentrée à marcher sans tomber.
Chaque pas devenait alors un combat que je gagnais, aussi insignifiant soit-il. J'affrontais le monde, et je m'affrontais moi-même. Je ré-apprivoisais l'existence sans rien y comprendre, juste parce que je n'avais rien trouvé d'autre, parce que je n'avais rien d'autre.

Rien. Sauf ma "porte de secours", que j'ai cachée au monde entier, pour que personne n'en soupçonne la présence. Parce que je savais que si j'en parlais, on chercherait à m'empêcher de la garder, on me l'enlèverait, croyant m'aider. On m'aurait taxée de "folle" et de "fragile", et on m'aurait peut-être même enfermée. En parler, c'était devoir y renoncer. Or, j'avais besoin d'elle pour avancer. C'est paradoxal, je sais, mais elle était ma liberté. Être libre d'essayer, ou libre d'abandonner. La dernière chose qui me restait à ce moment là...
Si vous ne l'aviez pas encore compris en lisant le blog, "la porte de secours" ou "la porte", c'est ainsi que je voyais, et appelais, le suicide, et donc la mort.


J'aurais mis le temps pour réussir à me relever, et à reprendre la route de l'esprit, à remonter la pente. Presque debout, bien qu'instable. Et pourtant je l'ai fait. Seule. Et ce faisant, j'ai mis le pied sur le chemin de la résilience. La vraie. Celle par qui on reconstruit, quitte à finir d'abattre quelques murs pour repartir sur du neuf.

Aujourd'hui, je suis là.
Mon combat n'est pas fini, et qui sait s'il finira un jour. Néanmoins je suis debout. Encore un peu avachie certes, mais debout quand même.

Aujourd'hui, je peux sortir de chez moi pratiquement sans frémir. Je peux marcher dans la rue presque comme n'importe qui, et rien de mon parcours n'apparaît dans ma démarche. Je peux être contrainte de changer de route sans forcément paniquer. Je peux croiser un inconnu sans hurler à coup sûr de détresse à l'intérieur de moi. Je peux lui répondre quelques mots s'il s'adresse à moi sans m'étouffer ou pleurer. Je peux croiser un regard et ne plus souhaiter mourir. Je suis devenue capable de tant de petites choses..

Ces choses si banales pour tant de gens et qui ont si longtemps été des "Himalaya" pour moi. Et bien je suis "dessus" désormais, et même si pour le monde entier, c'est une motte de terre ridicule, je sais d'où je suis partie, et j'ai l'impression d'être au sommet du monde, de mon monde. Et alors le soleil est plus grand, plus lumineux, plus chaud, plus tout. La pluie est plus chantante, plus fraîche, plus douce, plus tout aussi.
Tout est plus vivant. Je ne suis pas juste "encore en vie", je suis vivante. Cela m'aura pris près de 30 ans pour y parvenir. C'est encore compliqué certains jours, mais je m'en sais capable désormais, et ça change beaucoup de choses.

J'arrive à voir le beau dans ce qui m'entoure, et même parfois, à cultiver les espoirs à force de volonté. J'ai rencontré des gens, et j'ai appris à les aimer, à leur faire confiance, et de façon plus saine. J'ai lié ma vie à la leur, dans la joie et de nouvelles douleurs, et j'ai accepté que les choses étaient parfois ainsi faites. J'ai découvert l'amour et l'amitié alors que je n'osais pas même en rêver. Et même si je rame comme pas possible, même s'ils sont infiniment fragiles, j'ai des rêves et des projets.


C'est probablement pour tout ça aussi que je souris quand je marche aujourd'hui, à minima intérieurement, même s'il me faut parfois un kilomètre pour que ça me revienne.
Je marche autant par envie que par besoin. Pour dérouiller le corps, et ne pas oublier. Pour aérer l'esprit, et continuer à lutter. Pour m'afficher ma victoire, et la renouveler. Pour ré-apprendre à vivre vraiment.

Parce que chaque pas reste une minuscule victoire à moi.
Alors je marche, parce que j'ai des années lumières de retard à rattraper. Et, petit pas par petit pas, je les rattraperai, un jour.


Si le monde plonge ces chances dans l'ignorance,
moi comme une enfant insouciante qui danse,
les plaisirs minuscules des gens normaux,

je leur mets des majuscules dans mon cerveau.

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Commentaires
A
Je vais ajouter mon propre retour positif.<br /> <br /> Outre la qualité et la finesse de votre écriture, je souligne l'opiniâtreté que vous évoquez.<br /> <br /> Je comprends bien la « porte de secours », mais vous disposez à présent de la grande porte sur la vie. La vôtre. Celle de votre entourage aussi. Ils faut avoir au fond du cœur l'intense Désir du Vivre, pour accomplir les grandes petites choses que vous évoquez. En réalité rien n'est petit. Tout peut concourir à notre accomplissement.<br /> <br /> J'ose dire que je sais de quoi je parle.
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C
Voilà, j'ai rattrapé mon retard de lecture. jJen reste pour ce que je te disais chez moi : tu as une capacité d'écriture incroyable, alors ça me fait sourire quand tu dis que tu ne trouves pas les mots pour commenter...<br /> <br /> merci pour ces belles histoires, ces ressentis, ces défis que tu fais pour toi seule et qui témoignent de ta profusion foisonnante !<br /> <br /> Bisous admiratifs<br /> <br /> •.¸¸.•*`*•.¸¸☆
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  • Mes élucubrations, poèmes, peurs, espoirs, combats ... tout ce qui prends trop de place dans ma tête, et d'autres textes pour le plaisir de la plume. Tous les textes et images non sourcés sont ma propriété. Merci.
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