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A l'ombre de moi-même
5 mai 2019

Une nuit.. (lakévio)

"Les lampes s'éteignaient derrière les rideaux
Il ne faut pas aller trop vite
Crainte de tout casser en faisant trop de bruit."

Casser l'harmonie de cette partition sur les murs où les notes clignotent. Celle du bureau à l'étage du numéro 3 brille encore derrière la voilure bleue. Celle de la chambre étudiante mansardée au 5 vient de disparaître. Au numéro 1bis, celle de la cuisine est revenue, de même que celle du second au familial numéro 7. Le vrai 1 joue les Versailles, seule une de ses ouvertures ne déborde d'aucune lueur.
C'est toute la rue qui joue sa symphonie en ampoules mineures.

Seul le silence et le vent peuvent accompagner la danse des lumières qu'il observe depuis son balcon, un verre de vin à la main, un calepin sur la table. Il y inscrit la mélodie qu'il lit sur les façades de pierre, et les rimes qui lui viennent en chemin. Anicet le poète se fiche bien d'observer la vie de ces voisins d'ordinaire, mais le soir venu, l'un de ses plaisirs secrets est de se poster sur son fauteuil, et d'épier la guirlande de fenêtres offertes à sa vue. Par pour ce qu'il se passe derrière, non, juste leurs battements de cils. Jour contre nuit, parfois mêlés d'indécision et de frénésie.

La petite vieille du numéro 1 a encore oublié d'éteindre sa cuisine au rez-de-chaussée, ce pendant qu'au premier, la chambre fatiguée a fermé ses paupières. 22h30 précise, comme de coutume.
Alors le regard d'Anicet saute directement au numéro 9 un peu peu loin, guettant le moment où la première vitre laissera filtrer un éclairage. Car il a un autre plaisir secret, celui d'attendre le moment où Lucille D. reviendra du travail. Son élégante voisine met alors, en moyenne, quinze minutes avant de rejoindre son propre balcon, un verre à la main aussi.
Levant le sien à son encontre comme dans un toast muet, Anicet aime échanger un regard entendu avec elle, en amateur de spiritueux, l'air de rien, et finir de boire avant de rentrer, espérant ainsi se donner un air mystérieux et confiant. Il n'ose pas rester plus longtemps, il faudrait alors parler, voire crier même, car la maison de Lucille n'est pas tout à fait 'à côté' de son petit numéro 6 à lui.

L'heure passe et le hall du 9 ne s'allume pas ce soir. Du plomb dans l'estomac, le verre immobile dans sa main, Anicet regarde intensément le bout de la rue à la recherche d'une silhouette, imaginant déjà le pire... Quel couillon. Peut-être que s'il était allé la voir, qu'il lui avait parlé, alors il saurait où elle est, parce qu'ils auraient tissé un lien, tous les deux.
Si ça se trouve, elle vient d'être renversée par une voiture, et a été amenée à l'hopital. Le choc l'a rendue amnésique, et elle a tout oublié de lui, et de leurs toasts ridicules qui duraient depuis maintenant six mois qu'il avait emménagé.
Pis encore, peut-être allait-elle décéder dans quelques heures des suites de ses blessures, et lui n'en saurait jamais rien. Qui penserait à venir l'en avertir ? Il faudrait qu'elle ait lu son nom sur la boîte aux lettres... qu'elle l'ait prononcé plusieurs fois dans un délire fiévreux.. Que l'ambulancier l'ait entendu et ait prévenu quelqu'un qu'il fallait venir le trouver. Qui s'occupe de ce genre de chose ? La police ou la gendarmerie ??

Soudain la sonnette, et Anicet en lâche, de surprise et d'effroi, son verre qui part se briser en mille morceaux sur le sol du balcon. Miséricorde ! Ses pensées ont peut-être porté la poisse à Lucille, on vient lui annoncer le pire ! Il dévale l'escalier en courant, et se rue sur la porte comme un fou, s'attendant à voir un gendarme à l'air grave en ouvrant.
Mais ce n'est pas un gendarme. C'est Lucille. Une bouteille à la main, et un sourire à se damner sur les lèvres. Abasourdi, Anicet reste sans voix.

"Bonsoir. Anicet, c'est bien cela ? Lucille. Voilà, cela fait six mois aujourd'hui depuis notre premier toast nocturne.. Et je me suis dit qu'il était grand temps que j'ose venir vous parler. J'aimerais beaucoup que nous fassions enfin connaissance... qu'en dites-vous ?"
"Je ... oui, avec plaisir ! Vous voulez entrer ?"
"Oui, enfin, si je ne dérange pas ? J'ai entendu du bruit.."
" Non, ce n'est rien.. J'étais là haut à boire mon vin, et j'ai été tellement pressé d'ouvrir que...", il hésite un instant.
" .. que ?" l'encourage-t-elle.
Alors Anicet sourit comme il n'avait encore jamais souri, et s'inclinant tout en l'invitant d'un signe de main au salon lui murmure :
"Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire."

 

Source de l'exercice : Lakévio.

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Commentaires
A
Très sympa cette manière de traiter la consigne !<br /> <br /> Une rencontre demande le temps de se faire.<br /> <br /> Comme le bon vin, en quelque sorte !
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  • Mes élucubrations, poèmes, peurs, espoirs, combats ... tout ce qui prends trop de place dans ma tête, et d'autres textes pour le plaisir de la plume. Tous les textes et images non sourcés sont ma propriété. Merci.
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