Poser les vrais mots, parce qu'il le faut.

J'écris toujours trop, mais là...
J'aurais vraiment tant à dire, tant à écrire...

Ma Mélopée veut que j'écrive mon regard d'"adulte" sur la question, en sortir de notre séance. Pendant que c'est frais, quitte à tout jeter, et y revenir après.
Ce n'est pas comme si ça m'enchantait, mais je crois que je comprends pourquoi elle l'a demandée. Et puis, là pour le coup, j'ai cherché. C'est moi qui ait décidé qu'il était temps pour moi de traiter ce qu'il s'est passé.
Il le faut bien, si je veux enfin vraiment avancer sur le sujet. M'en délester.. ou au moins l'assumer.

Quinze ans après.

Il m'aura fallu pas moins de quinze années pour faire la démarche d'en parler pour de vrai.
Me poser, au calme, face à cette page d'association. Leur écrire, sans détour ni secrets, ce que j'avais traversé, et le prix que je payais, encore aujourd'hui. Pour lancer mon appel à l'aide, et oser demander... en espérant sans l'avouer comme une "validation"... Quinze années, pour être apte à accepter, à entendre le verdict.

Celui-ci est tombé. J'en ai été comme .."soulagée".. si l'on peut dire. Encore un point où je craignais de me tromper. Où, pensais-je, la folie avait peut-être frappé.. Il y a des choses qui nécessitent de l'aide pour les gérer, ou à tout le moins, y mettre de la lumière pour s'y retrouver..

Regarder. Identifier. Nommer. Observer encore. Apprivoiser...
Il y a parfois un ordre à respecter. Des étapes obligatoires à traverser...

Maintenant, je ne devine plus, je sais. Je reprends la route où je l'avais laissée. 
Car non, je ne serais jamais plus la même "qu'avant". Même en miettes, ce passé est mon passé. Derrière moi certes, mais à jamais accolé à mon histoire, avec toutes les répercussions qu'il a pu provoquer.. Cela ne saurait me résumer, mais ça fait partie de moi désormais. C'est une partie de mon histoire. Celle qui m'a détruite, et façonnée.. Je dois réussir à l'appréhender, avec les vrais mots, ceux qui doivent être prononcés..

Pendant deux longues années, mon ex n'a pas fait que me rabaisser, m'humilier, m'exploiter... il m'a aussi violée.
C'est encore plus dur que tout le reste, d'admettre ce seul fait..
Il n'était pas seulement un "pervers narcissique", comme on les appelait. C'était aussi un violeur, en toute impunité...

Non, ce n'était pas normal de vivre ça... et je n'aurais pas du en porter seule la responsabilité.
Ce qui est normal, c'est que je me sois écroulée après ça. Que j'ai haït le monde entier, que je n'ai plus pu laisser personne m'approcher, dévorée par la peur et la méfiance. Que je me sois enfermée chez moi à pleurer des jours durant rien qu'à l'idée de sortir, à suffoquer à chaque réveil après ce cauchemar qui me poursuivait où un homme me dépossédait de moi en riant quand j'avais le malheur de fermer les yeux...
Ces envies de vomir, et de mourir devenues omniprésentes, ces émotions submergeantes, tout ce que je ressentais après chaque fois avec lui, et qui m'ont hanté pendant toutes ces années après lui.. Ces crises de larmes, de panique, de colère et même de haine... oui cette immense boule de haine plantée dans mon coeur, et dont il reste encore à ce jour des miettes dispersées... Ces dissociations à répétition, et cet inexorable effondrement, tout ça, c'étaient les conséquences de ce que j'avais vécu, et que j'ai du nier...

Ma honte, ma culpabilité. Mon effroyable vérité que j'ai tant lutté pour l'enterrer.
Ce secret bien gardé, à peine à mi-mot évoqué, toujours rapidement effacés.
Ce poids sur mon âme, mon coeur et mon corps, qui depuis n'a jamais eu de cesse de me torturer... dont je sens encore parfois les effets..

C'est éminemment compliqué, de poser le mot "viol".
Au moins tout autant de lutter pour en gérer la réalité..

Pendant la séance aujourd'hui, c'est la toute première fois que j'arrivais à dire à ma moi adolescente : "tu ne l'avais pas mérité", et à vraiment le penser. Personne ne mérite pareil traitement, jamais..
J'ai pu lui dire que tout ça n'était pas de sa faute. Qu'elle n'avait pas les bonnes clés, qu'elle a fait ce qu'elle a pu pour survivre, et encaisser..

Au sortir de la séance, je sens comme de la gratitude pour cette ado paumée que j'étais, car au final, c'est seule qu'elle s'en est tirée. C'est seule qu'elle l'a affronté, qu'elle a réussi à affirmer qu'elle le quittait, sans céder face à ses habituels petits tours dont il avait le secret... sans revenir sur sa décision quand on voulait la faire douter ou qu'on la jugeait. C'est elle seule qu'elle a écouté quand elle voulait savoir si elle avait bien fait, et c'est sa voix qui répondait "c'était ça ou crever, oui, tu as bien fait".

Ce que je ressens là ? Gratitude. Empathie, compassion, et presque Amour même je crois.. Je ressens pour cette ado ce que j'ai si longtemps espéré que ressente pour moi ma mère quand j'ai tenté de lui en parler... Je donne à l'ado que j'étais ce qui m'avait été refusé.

Pierre après pierre, un gouffre entier à combler..

Ce que je ressens pour moi-même maintenant ?? C'est un peu différent.
C'est flou, quand je réalise que l'histoire de cette moi adolescente, c'est celle de moi adulte, aujourd'hui. Que sa vie, c'est ma vie. Que ses cicatrices me marquent aussi.
Je me sens désemparée.. Honte et culpabilité sont des vagues dans ma tête. L'ado petit à petit en est lavée. L'adulte continue à être balotée.
Je ressens de la tristesse, peut-être un peu de colère également... ou du jugement ?
C'est encore compliqué de me dire que je n'ai rien mérité de tout cela. Que ce n'était pas ma faute. Que je peux me pardonner ce qui s'est passé..
J'ai du mal à ne pas percevoir de trace de salissure sur mon être. À accepter ce que j'ai vécu quand ce type était dans ma vie..
Sur le chemin de la guérison, et pourtant, encore assez loin de la destination..

Mais un pas à la fois. D'abord elle, désespérée, cristallisée... Elle qui pleure depuis si longtemps, seule au fin fond de sa solitude macculée d'un goudron noir et épais..
Je rêve que je la prends dans les bras, je la serre fort, et j'ai envie de pleurer. Si elle avait été ma fille, ou même juste une amie, j'aurais été dévastée, incertaine de ce qui devait être fait, mais j'aurais réagit avec amour, ça je le sais... J'ai la gorge nouée. Les yeux humides. Par moment, sur mes joues bien réelles, les larmes coulent.. Sans le beau soleil dehors, je serai épuisée au point d'aller me coucher..

Ma vie est faite de tant de choses suréalistes.. Je dois en regarder chaque épisode, un à un, les apprivoiser, les analyser, les intégrer...
Mots et émotions dansent dans un océan de pensées. Présentement, c'est un rythme lent, pulsatile, une sorte de houle fatiguée. Le vent souffle sur l'amer, et me fait espérer que je pourrais enfin toucher terre, dans un futur pas trop éloigné..


Et maintenant, que va-t-il se passer ??
Je vais continuer à travailler. C'est un autre de mes combats, un pan de ma guerre invisible, que je vais continuer à mener.
C'est long, c'est douloureux.. ça me vide de mon énergie, mais.. Je sais que c'est pour le mieux. Je sens que mes vieux démons vieillissent, et je veux faire en sorte de finir par m'en délester.

Continuer à marcher. Peut-être errer encore, mais d'un pas plus léger..


Au fond de mon coeur, il y a une ado et une petite fille blessées, qui attendent de se remettre à danser.

Comments

[Vi revolte]

mais non , tu n'écris pas trop c'est parce que tu en as éprouvé le besoin, besoin de dire, de se délester comme tu le dis. je suis désolée pour toi, d'apprendre ce qui t'est arrivé. Cela ne devrait pas exister des personnes comme ça, capable de détruire quelqu'un. En tout cas en effet tu n'es responsable de rien et tu n'as pas à te sentir coupable de quoi que ce soit, c'était lui le responsable ! Et c'est malheureux qu'à l'époque tu n'aies pas pu être soutenue par ta mère.

Bon cheminement, d'un pas plus léger, j'espère que tu te remettras à danser...